2001-2019 ! 18 ans que l’Oenothèque Alsace de Thierry Meyer organise des repas/dégustations UNIQUEMENT consacrés aux vins d’Alsace. Une œuvre à quatre mains avec Jean-Phillipe Guggenbuhl de la Taverne Alsacienne, lieu quasi exclusif de ces soirées. Une entreprise courageuse et dynamique, mais surtout prolifique ; en 2011 on comptait déjà 80 repas, j’en avais alors 18 au compteur.
En 2001 on ne parlait pas d’euro, pas de vin nature, la volatile était un défaut pour tout le monde, la biodynamie était encore marginale et Chirac n’avais même pas encore terminé le premier de ses deux mandats ! Dans le vignoble on allait rentrer un beau millésime déjà occulté par le précédent qui se devait d’être meilleur car plus riche, plus chaud donc laissant plus de sucre traîner surtout sur les grands crus. D’ailleurs, Crus n’est-il pas l’anagramme de Sucr(e).
Aujourd’hui en 2019, la biodynamie c’est largement installée dans le vignoble, les beaux millésimes s’enchaînent, de nombreuses associations se sont créées pour promouvoir les vins d’Alsace comme Les DiVINes, ACT et des regroupements de jeunes vignerons dynamiques voient le jour. Le vin pétilles parfois de façon curieuse et il est politiquement correct d’apprécier la volatile et les blancs qui se laissent macérer avant la presse, il en faut pour tout le monde après tout. Enfin, on pourrait passer toutes ses soirées les pieds sous la table, verre à la main à croiser les saveurs et partager les impressions en se disant que l’Alsace est grande productrice de vins blancs dans le monde.
Que de changement en 20 ans, en Alsace, mais on ne peut construire un futur sans histoire. On ne peut s’orienter dans une direction sans savoir d’où l’on vient. Et le vin a cela de magique qu’il est justement un représentant du temps qui passe, de l’évolution des mœurs, des cultures, des opinions, des modus operandi.
L’année 2019 se terminant, il était donc bon de revisiter les accords alsaciens avec des vins en « 9 », millésimes souvent grands voire très grands en France et même en Alsace, c’est presque dingue. Certain affirment que cela est le fait d’un cycle climatique décennal mais comment expliquer alors qu’il ne fonctionne qu’en France, les grands millésimes italiens étant 2004 et 2007 !
Véritable porte bonheur français, la règle du « 9 » se confirme sur au moins 120 ans, de 1899 à nos jours. Il n’y a que 1909 et 1939 qui sont des années plus faibles ou historiquement plus compliqués à produire.
Nous voilà donc une douzaine autour d’une sélection rigoureuse de bouteilles allant de 2009 à 1959, millésime de légende parmi les légendes.
Amuse bouche
Sylvaner Rosenberg 2009 Barmes Buecher.
Nez un rien austère, plutôt froid dans un millésime chaud mais sans le moindre caractère variétal, ce qui est un plus. Bouche droite, sapide et profonde, posé sur un bloc de pierre. Finale éclatante et pleine. Très bien
Muscat grande réserve 1959 Gustave Lorentz.
Nez éclatant est très jeune sur la menthe fraîche, la chlorophylle des notes boisés. La bouche est souple, lisse mais présente avec du gras, un profil sec et une longue acidité en filigrane. Un vin qui gagne en largeur mais finalement plutôt de nez même si la bouche est encore remarquable de jeunesse et de fraicheur. Excellent
Un très beau duo de cépages de second plan mais qui ont trouvé sur ces terroirs des expressions profondes dans des structures fermes et solides. Le muscat 1959 a fait merveille sur une mousse légère au foie gras et compote de figues. Le Rosenberg a tout autant fait parler pour son caractère terroir remarquable.
Premier off de la soirée avec un contre-exemple des millésimes en “9” réputés chauds et donnant donc des vins mûrs et splendides.
Alsace Riesling Aux Murailles 1979 Dopff et Irion.
Nez végétal sur l’asperge, le sous-bois et une petite touche de miel. La bouche est très raide et strict avec des amers gênant en finale. Le vin n’est pas mort et ne semble en fait n’avoir pas évolué depuis sa naissance il y a 40 ans ! Le rendement excessif ou la date précoce de vendange explique sans doute cette structure fluette, sans chair. Bien-
LE CABILLAUD DE BRETAGNE, AIL NOIR ET COULIS DE POTIMARRON, JAMBON SECHE
Alsace grand cru Osterberg Riesling 2009 Louis Sipp.
Nez pierreux et fumé. Bouche ample, large, acidité bien en place plus centrée que la matière. Bel équilibre consensuel. Je vais reprendre ici la phrase d’Etienne Sipp lui même. “L’Osterberg produit des vins osseux”, rien à rajouter. Le millésime chaud lui rajoute un supplément d’ampleur. Très bien
Alsace Riesling Hengst vendanges du 28 novembre 1979 Josmeyer.
Nez grillé avec touche d’hydrocarbure, tisane et boite en fer, touche de sardines comme un vieux chardonnay. Bouche lisse, suave avec une délicate onctuosité, une profondeur certaine. Plus de largeur en milieu de bouche avec une matière frétillante. Finale iodée. Une cuvée que l’on connait aujourd’hui sous le nom de Samain, vendangée plus tard mais actuellement plus sèche car plus aboutie. Très bien.
Le Hengst a parfaitement fait l’accord avec le plat. La touche rustique du potimarron avec la patine du Hengst 79, la gras du poisson avec la délicatesse et l’onctuosité de la matière. L’Osterberg 2009 a un peu fait le rouleau compresseur…faudra trouver plus de matière pour lui.
LE RISOTTO DE HOMARD ET CEPES, JUS DE HOMARD
Alsace Riesling Clos Sainte Hune vendange tardive 1989 Domaine Trimbach.
Caramel, fumé confit fin et le raisin de corinthe, coquille d’œuf et le beurre. Bouche moelleuse, assez tactile avec une acidité et granuleuse. Finale souple. Bel accord sur le plat. Excellent
Alsace grand cru Rangen de Thann gewurztraminer 1999 Domaine Zind-Humbrecht.
Nez sur la rose au petit matin sous la rosée, croûte de pain, épice et une impression florale d’une finesse incroyable. Bouche souple et moelleuse en attaque avec une puissance large et complètement. Excellent
Seul, pour lui même, le Clos Saint Hune n’a pas éclairé les regards, un nez finalement trop discret et trop classique. Le Rangen avait bien plus de chose à raconter. Sur le plat, sur la puissance du Homard, le Clos Saint Hune c’est immédiatement posé comme une évidence, soulignant sans écraser le plat. A l’inverse le Rangen avait curieusement du mal mais on ne peut lutter contre un calcaire.
LES FROMAGES AFFINES
Alsace grand cru Mambourg Riesling 1999 Marc Tempé
Torréfié orange confite, écorce. Large, puissant, acidité fine et large tout en sagesse avec une force discrète et subtile. Finale sur de beaux amers et presque tannique. Très bien
Alsace Pinot noir Clos Saint Landelin 2009 René Muré.
Sanguin, fruité noire évolué et éventé à mon sens, tabac. Sphérique, gros volume mais style sculpturale avec l’alcool en avant et une matière ciselée. Bien
Plateau de fromage classique de la maison Quesnot à COLMAR. Comté, Tomme des Pyrénées, Selles sur Cher et Brie de Meaux (du Copé ou encore 0,3%)
Point de rouge sur le fromage, ce n’est plus l’usage aujourd’hui mais force est de constater que l’accord fut très réussi entre la Tomme des Pyrénées et le Clos Saint Landelin. Le côté torréfié du Mambourg a trouvé avec le Comté un compagnon de bouche. Le Selles sur Cher, plus vif a fait bande à part. Le Meaux a fini sur une belle tranche de pain et fut avaler en l’état.
LA TORCHE AUX MARRONS ET SON COULIS D’EGLANTINE
Alsace Traminer Grande Réserve Exceptionnelle 1959 Léon Beyer.
Feuillage d’automne, terne. Bouche moelleuse mais sèche avec une acidité qui traverse le breuvage pour finir en éclat. Grands amers, pointe d’alcool. Un peu scabreux seul mais bel accord sur la torche aux marrons avec ces notes de sous-bois. Bien+
Alsace grand cru Goldert gewurztraminer vendange Tardive 1989 zind-Humbrecht.
Abricot confit, sous-bois et truffe. Bouche d’une grande fraîcheur un moelleux presque sec, très large, presque brutal avec une profondeur abyssale. Excellent
Le Traminer 1959, du haut de ses 60 ans montre encore suffisamment de force pour contenir la fougue de la torche aux marrons et ses senteurs automnales. Le Goldert a plus joué de son côté, en solitaire, avec ce caractère très franc et net à l’opposé du dessert, plus ample et solide.
Alsace grand cru Furstentum riesling Sélection de Grains Nobles 1989 Paul Blanck.
Nez confit à l'extrême signant une très belle pourriture noble, note de safran, de raisins de corinthe rôti. Grosse acidité, liqueur immense qui tapisse le breuvage d’une matière incroyable. Tout est pourtant en place, un feu d’artifice dans le verre pour ce vin presque irréel. Énorme.
Quelle belle fin de repas avec ce breuvage hors norme, qui réunit toutes les qualités d’un grand liquoreux. C’est bateau mais que dire d’un vin qui trouve son instant de perfection ? Rien, on boit religieusement et on se tait.
Merci Thierry de nous replonger dans ces folles soirées viniques avec ce repas. Je suis à nouveau motivé pour quelques années dans les vins de ma régions, jeunes, vieux, secs, sucrés, du plus simple au plus complexe.
Ces repas sont toujours l’occasion de discuter avec les vignerons présents. Thierry compte un socle solide avec quelques « anciens » toujours dynamiques qui ont de génération en génération les clés de la région, par leurs vins, les accords, l’histoire du vignoble, de la région.
Petit bémol cette fois, aucun vin du Bas-Rhin, alors que nous avons protestant, négociant, indépendants…
Stéphane