On voit de plus en plus fleurir des séances de dégustation obscure comme récemment sur le thème de la « minéralité du riesling ». Une dégustation qui devrait faire date dans la région tant le concept est novateur, proposant certainement une culture hors-sol du cépage roi de la région. Je force un peu le trait mais si on cherche à instruire les gens, autant utiliser les bons mots.
Pour aborder sérieusement les terroirs, avec leurs nuances, leurs caractères, leurs subtilités, leurs capacités à porter des cépages, il faut pousser les portes des grands domaines, les portes de ceux qui font bons et le font savoir.
Notre région à la chance de posséder un grand nombre de ces domaines, je ne vais pas les citer ici, ce n’est pas le sujet. Bon d’accord, Boxler, Deiss, Mann, Weinbach pour rester dans l’ordre alphabétique.
Un de ces plus importants domaines étant sans aucun doute possible Zind-Humbrecht. Ce domaine est depuis de nombreuses années au sommet des guides et classements nationaux, et internationaux, et la grande disponibilité de ces vins (autre drame de l’Alsace) m’a permis de confronter mes sens à ceux du monde entier pour arriver à la conclusion suivante : et bien je suis en phase avec ce constat.
Thierry Meyer, plus grand passionné du domaine après La Famille Humbrecht elle-même, a organisé deux évènements le 21/10/2017 pour mettre des mots sur des sensations et appréhender l’évolution des cuvées dans le temps.
Pour bien comprendre les vins il faut aussi voir les vignes, les installations, la cave. Le temps et le nombre important de participant ne permettant pas une visite agréable des vignes nous allons commencer l’après-midi par une visite de la cave. J’ai à plusieurs reprises trainer mes guêtres entre ces foudres et j’ai toujours cette même impression de gigantisme conjuguée à un pragmatisme apaisant. Tout y est organisé, rangé, il en ressort finalement un sentiment de zénitude, d’une évidente simplicité, d’une grande tranquillité. Ceux qui pensaient y trouver des grigris, de l’ésotérisme devaient être bien tristes car faire du vin est visuellement simple quand la matière première est grande.
Et c’est là que la notion de « Terroir » entre en jeu, une terre, un homme, une conduite, un objectif. Et niveau terroirs, le domaine est chanceux. Disons plutôt qu’il avait mis l’accent plutôt que les autres domaines sur les coteaux à une époque où le rendement et la mécanisation dominés la qualité.
On trouve ainsi sur la carte, les grands crus Rangen de Thann, Hengst, Brand, Goldert et bientôt Sommerberg mais aussi un nombre impressionnant de clos, Häuserer, Jebsal, Windsbulh et d’autres lieux-dits comme le Rotenberg, le Heimbourg et le Herrenweg.
Fort de sa notoriété et de ses terroirs fortement marqués, le domaine avait longtemps vécu sans site web, il n’en avait pas besoin. La chose est maintenant corrigée et les explications sur les terroirs, les millésimes est fabuleuse. Je vous laisse regarder car je ne pourrais faire ici qu’un piètre copier/coller. http://www.zindhumbrecht.fr
Toujours dans un souci d’amélioration de la qualité les Humbrecht controlent les températures de fermentation en 1981, abandonnent la chaptalisation en 1993, sont certifiés en biodynamie dès 1998, mettent en place la fin du rognage en 2001, les indices de sucrosité arrivent en 2002 et la même année les labours des parcelles se font à cheval, soit 5 ans avant la création du smartphone servant à immortaliser aujourd’hui la sueur du canasson en plein effort !! Visionnaire je vous dis.
Le but de cette série est donc d’observer les transformations des vins au fil des améliorations par la dégustation par paire. A noter que les bouteilles sont fournies par L’Œnothèque Alsace de Thierry Meyer.
Alsace Riesling Clos Häuserer 2002
Mise en bouteille : 2/2004 ; Alcool acquis : 13.4° ; Sucres résiduels: 9 g/l ; Rendement: 31 hl/ha ; Optimum de dégustation: 2007-2022+ ; Vignoble planté en 1973. 100% Riesling ; Surface : 1.2 ha ; Terroir : Marnes calcaires de l’oligocène. Coluvium de pente. Exposé est. Très faible pente. Indice 2
Nez mur, sur le miel, les fruits jaunes, l’encaustique et les herbes aromatiques il va s’épurer avec le temps pour donner des notes de menthe. La bouche est souple et fine en attaque avec une petite pointe de SR puis une forte acidité puissante et brute mais pas débordante, du moins largement maitrisé par la matière. Grande ouverture en finale tout en gardant ce côté délicat et charmeur. 17/20
Alsace Riesling Clos Häuserer 2008
Mise en bouteille :2/2010, Alcool acquis : 12.8°; Sucres résiduels: 7.3 g/l ; 5.8 g/l H2SO4, pH: 3.1, Rendement: 54 hl/ha ; Optimum de dégustation: 2013-2028+ ; Vignoble planté en 1973. 100% Riesling ; Surface : 1.2 ha ; Terroir : Marnes calcaires de l’oligocène. Coluvium de pente. Exposé est, très faible pente. Indice 1.
Nez discret, plutôt floral sec avec des touches de thé et d’agrume. L’attaque est identique, délicate mais l’ensemble est bien plus tactile avec plus de peps et une plus grande droiture malgré une richesse similaire. Grand jus avec un grain minérale bien plus marqué avant une finale très large mais un peu marqué par l’alcool. 18/20
Alsace Grand cru Brand Riesling 1998
Mise 3/2000, 110° Oe (15.3° pot), 14.8° alc, 8 g/l SR, 35hl/ha, 2005-2015+
Nez sur le thé, l’abricot, le café, la torréfaction avec une touche de surmaturité. La bouche est dense, droite, tactile mais plutôt crémeuse avec une salinité grasse, assez large pour un granit qui s’étale bien en largeur. La finale est franche, sèche et nette, comme un pilier. 17/20
Alsace Grand cru Brand Riesling 2013
Mise en bouteille : Mars 2015 ; Alcool acquis :13° ; Sucre résiduel :5.1 g/l ; Acidité totale :4.2 g/l H2SO4 ; pH :3.1 ; Rendement :22 hl/ha ; Optimum de dégustation :2017-2033+ ; Age moyen des vignes :63 ans ; Terroir : Granite Biotite (à deux micas) exposé sud, forte pente ; Indice :1
Nez jeune sur le citron confit, le bois, le savon. La bouche présente un petit gaz puis l’ensemble devient verticale, intense et juteux avec une bouche complétement centrée rappelant le jus de pierre. Beaucoup de tonus et de franchise et une grande longueur aromatique pour ce qui est encore qu’un bébé. Nous avions avec le 1998 un pilier, voici le reste de la cathédrale. 18,5/20
Alsace Riesling Clos Windsbuhl 1999
Mise 3/2001, 99° Oe (13.9° pot), 13.54, 7 g/l SR, 39 hl/ha, 2005-2015+
Nez mur, confit et très fumé sur l’orange, l’abricot sec, la tarte tatin. Petite richesse en attaque puis arrive la puissante cavalerie, qui pour une fois n’est pas en retard, mais l’ensemble garde cette souplesse malgré une acidité bien calcaire donnant un coté longiligne mais croquant. 17/20
Alsace Riesling Clos Windsbuhl 2007
Mise en bouteille : 9/2008; Alcool acquis : 13.1°; Sucre résiduel: 1.4 g/l ; Rendement : 49hl/ha ; Optimum de dégustation: 2015-2025+; Age moyen des vignes : 33 ans ; Surface : 0.9 ha ; Terroir : Calcaire Muschelkalk exposé sud, sud-est. Indice 1
Nez sur les épices, la croute de pain, la craie. La bouche est hyper précise, saline avec une matière qui a gagné en gras avec les années. La profondeur est abyssale pour ce vin épuré, d’une structure athlétique, alliant puissance dominante et grande rigueur. Un vin cistercien dans sa jeunesse il va faire des heureux pendant des années. 19/20
Alsace Riesling Clos Windsbuhl 1994 (bouteille du domaine)
Nez explosif, médicinal sur l’abricot et le pain sec. La bouche est droite, racée, large et puissante avec une belle fraicheur dans un style suave et assez évident aider par un beau millésime. 17,5/20
Alsace Grand cru Rangen de Thann Clos Saint Urbain Pinot gris 2001
Mise : 2/2003 ; Alcool acquis : 13.6° ; Sucre résiduel: 30 g/l ; Rendement: 36 hl/ha ; Optimum de dégustation: 2005-2018+ ; Age des vignes : 32 ans ; Surface : 2.91 ha ; Terroir : Volcanique (tufs & grauwackes), exposé Sud, très forte pente. Indice 2
Nez sur le sous-bois encore noble, des touches fumées, du chocolat et un fort caractère coquillé. La bouche est riche tout en restant fine et d’une élégance folle comme toujours sur le Rangen. Un vin habillé de dentelle sur une grande salinité soyeuse. Un vin encore jeune. 19/20
Alsace Grand cru Rangen de Thann Clos Saint Urbain Pinot gris 2007
Mise en bouteille 9/2008 ; Alcool acquis : 15° ; Sucres résiduels: 22.5 g/l ; Rendement: 22 hl/ha ; Optimum de dégustation: 2013-2025+ ; Age moyen des vignes : 38 ans ; Surface : 2.5 ha ; Terroir : Volcanique (tufs & grauwackes), exposé sud, très forte pente. Indice 3.
Nez plus évolué, riche. La bouche est grasse, large et glissante tout en restant compact avec des amers torréfiés. Style puissant cette fois et un peu plus rustique. 17/20
Alsace Grand cru Hengst gewurztraminer 2002
Mise en bouteille : 9/2003 ; Alcool acquis : 15° alc ; Sucres résiduels : 41 g/l ; Rendement : 17 hl/ha ; Optimum de dégustation: 2007-2022+ ; Age moyen des vignes : 51 ans ; Surface : 1.42 ha ; Terroir : Marnes calcaires de l’oligocène, exposé sud-sud-est, pente moyenne à forte. Indice 4
Nez sur les fruits secs, la volatile, la croute de pain et une touche de sous-bois. La bouche est pleine, gourmande alliant un coté strict au gras viril de la matière. 16/20
Alsace Grand cru Hengst gewurztraminer 2013
Mise en bouteille :Septembre 2014 ; Alcool acquis :13.5° ; Sucre résiduel :45.0 g/l ; Acidité totale :3.2 g/l H2SO4 ; pH :3.7 ; Rendement :17 hl/ha ; Optimum de dégustation :2018-2038+ ; Age moyen des vignes :62 ans ; Terroir :Marnes calcaires de l'Oligocène, exposé sud sud-est, pente moyenne à forte ; Indice :5
Le nez est d’une pureté extrême, sur la poire, le jasmin. La bouche est simplement évidente d’élégance, grande fraicheur, tout est en place, rien ne domine et rien ne vient chambouler le plaisir du dégustateur. Ici on ne parle plus de cépage tant il est dans l’ombre du terroir. 19,5/20
Le domaine propose ensuite de nous faire profiter de deux magnums conservés in situ.
Alsace Clos Jebsal Pinot gris Sélection de grains nobles 2005
Mise : 2/2007; Alcool acquis : 7° ; Sucres résiduels: 306.5g/l ; Rendement : 8 hl/ha ; Optimum de dégustation: 2015-20 ??+; Age moyen des vignes : 22 ans ; Surface : 1.3 ha ; Terroir : Marnes grises et Gypse. Exposé sud, terrasses et forte pente.
Nez sur la pâte de coing, des fruits jaunes largement compotés et une pointe de volatile qui lui va bien. La bouche est puissante sur une acidité folle dans une grosse liqueur. Grande fraicheur dans la masse et malgré la richesse dingue, l’ensemble est cohérent, harmonieux et digeste. 19/20
Alsace Clos Jebsal Pinot gris Sélection de grains nobles trie spéciale 1994
Nez sur le cuir neuf, la prune, le camphre et autres herbes aromatiques. La bouche est d’une grande ampleur, d’une liqueur extrême sans que ce vin n’arrive à former une pâte malgré les 500 g de SR ! A ce niveau de confit ce n’est plus du vin mais de l’art, du pop art sans doute. Un superlatif, assez difficile à décrire devant lequel on reste pantois. 20/20
Toute la région Alsace a fortement progressé ces dernières années et le tournant est selon mon expérience autour du millésime 2007. Depuis ce temps, je n’ai pas vu un millésime vraiment problématique.
Si toute la région a progressé, on peut également convenir que le Domaine Zind-Humbrecht était, est, et sera toujours en tête de la région. Pas que le domaine fasse la mode mais il arrive à être suffisamment visionnaire et avant-gardiste pour se maintenir dans le peloton de tête quel que soit la tendance du moment. Son site internet en est une preuve, dernier sur la place est déjà loin devant pour qui veut découvrir et comprendre les terroirs et les millésimes, et pas seulement celui de 2003 comme on encore le lire çà et là.
En cela le domaine est une locomotive pour toute la région et devrait servir de fer de lance.
Merci à Thierry Meyer pour cette idée folle, et merci à Pierre-Emile Humbrecht pour son accueil.
Stéphane