Avant la seconde guerre mondiale, l’Alsace ne comptait que quatre caves coopératives : Ribeauvillé, la plus ancienne de France, Ingersheim, Dambach-la- ville et Eguisheim. Ces coopératives s’occupaient moins de vinification que de stockage et de vente. La première coopérative de vinification date de 1946 avec la création des caves de Sigolsheim et de Bennwihr. Ces caves coopératives permettaient de mutualiser le matériel complétement détruit pendant les différentes batailles en Alsace.
La région compte 4700 producteurs de raisins dont la moitié sont coopérateurs. Avec 38% de la commercialisation des bouteilles de vins d’Alsace, les caves coopératives alsaciennes représentent une part non négligeable du paysage viticole régional. Ce volume de production repose sur 16 caves coopératives (chiffres internet) du nord au sud de l’Alsace et sur une forte proportion de terroirs avec la majorité voire tous les grands crus. Je me demande même si on trouve un grand cru qui n’est pas produit par une cave coopérative. Kantzlerberg sans doute !?
Les surfaces exploitées par les caves vont de +/- 130 ha pour Les Faitières à plus de 1000 ha pour La cave du Roi Dagobert et 1300 ha pour Wolfberger qui a eu deux exploitent 15% de la région !! 1 bouteille sur 6 provient d’une de ces deux caves ! Difficile de les éviter et surtout de les ignorer.
Mais l’amateur, le vrai, celui des salons et des guides, reste insensible à cette surreprésentation, il la dénigre même en affirmant que rien de bon ne peut sortir d’une coopérative, que les rendements sont au-delà du possible, que l’état sanitaire est déplorable le tout sans même toucher à une seule des productions de peur de s’intoxiquer et de réduire son espérance de vie.
Mais que vaut vraiment la production des caves coopératives alsaciennes ? Cette question le taraude depuis qu’un Brand de la cave de Turckheim a décroché un prix au Decanter ! Comment ça un Alsace Grand Cru Brand de bas niveau avec un Decanter ! Pffff, pas dans ma cave.
J’ai donc pris la lourde responsabilité de proposer ce thème au joyeux dégustateurs de la Wantzenau et je me suis aventuré dans les linéaires de grandes et moyennes surfaces pour tâter le vin de Coop. Voulant jouer le jeu de la proximité je n’ai pas arpenté toute la région pour aller directement dans les caves. Les absents sont donc introuvables en GD autour de Strasbourg.
Alsace Grand Cru Sommerberg riesling 2015 Jean Geiler, cave d’Ingersheim. (9,95 euros)
La fameuse bouteille à facette trône sur la table du club pour entamer cette série. Nez discret résineux dans l’idée dès granit. La bouche est sucrée, très lisse sur acidité faible, sans doute liée au millésime. Vin sans le moindre défaut mais loin des standards du grand cru, plus proche d’un riesling générique de moyenne facture. 12/20
Alsace Grand Cru Brand riesling 2014 cave de Turckheim (12,95 euros)
Nez marqué par les épices et la pierre. Étincelant, brillant en bouche avec une pointe de sucre encore à fondre mais tension est là. Elle va même chercher la longueur dans une belle intensité minérale. 15,5/20
Alsace Grand Cru Steinert riesling 2014 Wolfberger (11,20 euros)
Nez froid assez pierreux. Profil droit, citron, acidité très bien en place dans la large tout en gardant ce côté incisif. Sapide, franc et net dans un profil sec. 15/20
Alsace Grand Cru Rosacker riesling 2017 Cave de Hunawihr (10,40 euros)
Superbe nez nez floral, fleur d’oranger, épices, note d’amande. Bouche ample et généreuse, grosse mâche avec pointe de rondeur pour apporter un côté plus suave. Finale plus nette et grasse. 17/20
Alsace Grand Cru Altenberg de Bergbieten riesling 2012 cave du roi Dagobert, Cave de Traenheim. (9,90 euros)
Nez très mûr, jaune, plâtre. Rond, ample, sur une acidité manquant de mordant devenant un peu plus intense en finale avec des notes de réglisse sur profil sec. Devient plus intéressant avec le temps. Les vins de ce terroir sont très longs à se faire et ce profil n’est pas incohérent avec le terroir. 14/20
Alsace Grand Cru Osterberg riesling 2012 Cave de Ribeauvillé (18 euros)
Cette bouteille est morte ! La seule achetée chez un caviste.
Alsace riesling Steingold 2015 Cave de Pfaffenheim (11,13 euros)
Assemblage des grands crus Steinert et Goldert. Nez mur, jaune avec des épices. Bouche ronde, sphérique, assez légère avec du sucre, acidité mordante mais courte. Tout dans la rondeur pour jouer la consensualité. 13,5/20
Alsace Grand Cru schoenenbourg riesling 2016 Cave de Beblenheim (7,95 euros)
Nez sur les fleurs tirant sur le savon. Ample, suave en bouche encore une fois sur le sucre mais bien posé avec du relief, généreux et une belle ouverture aromatique. Beau amer en finale. A noter pour ce riesling, l'obtention d'une belle médaille au concours Pinot gris du monde ! 15/20
Alsace Grand Cru Mambourg riesling 2015 Cave de Bennwihr (12,81 euros)
Nez réduit, grillé. Massif, imposant, acidité massive avec des épaules et de la chair dans un profil gourmand. Un peu taillé à la serpe. 14,5/20
Premier cliché qui tombe, tous les vins étaient en parfait état, sans la moindre trace d’évolution prématurée. La conservation dans les linaires, sous les néons et debout n’a pas était fatale. L’ironie du sort veut même que le seul vin flingué, mort, d’outre-tombe, provienne d’un caviste !!! Ah ah !! Pas de bol.
Second cliché, les vins sont absolument sans le moindre défaut technique, ils sont équilibrés, parfois très lisse et sans esprit terroir mais propres, loyaux et marchand.
Dernier cliché, ils sont chargés en sucres et manquent de maturités. Le Sommerberg est le seul vin qui à mon avis pourrait présenter une balance sucre/acide défavorable.
Par contre, les prix de vente sont redoutables pour la concurrence indépendante et ne sont pas en phase avec la grandeur des terroirs et des vins, même ceux des caves. Sans doute que les volumes à écouler sont bien trop importants pour monter les prix au risque de voir s’amonceler des stocks de vins. Ainsi les 7,95 euros dépensés pour un Schoenenbourg 2016 de la cave de Beblenheim peuvent sonner comme un affront insupportable pour la profession et je le comprends mais à qui la faute ? Aux caves coopératives ? à la demande de produits toujours moins chers, il ne faut pas oublier qu’ils garnissent les rayons des grandes surfaces.
Un jour j’ai lu sur Facebook un patron torréfacteur de café, applaudir l’arrivée d’un Starbuck dans la région car cela pouvait détourner les jeunes du soda et les ouvrir au café, même mauvais dans un premier temps. Dans le même esprit, les amateurs les plus modestes pourront alors découvrir la région à moindre frais, avec de belles disponibilités avant d’approfondir le sujet chez les meilleurs indépendants ou négociants.
En conclusion il faut bien reconnaître qu’on arrive facilement à prendre du plaisir avec un Rosacker de la cave d’Hunawihr, un Brand de celle de Turckheim ou encore un Schoenenbourg de la cave de Beblenheim, le rêve en moins, la passion en pause et sans le sourire de la vigneronne.