En entrant dans ce nouveau club (AOC à Barr) je ne savais pas qu’il allait, en 2011, fêter ses 10 ans et encore moins que cela allait être l’occasion d’une soirée anniversaire.
Nous voilà donc au grand complet devant une série dont nous ne savons rien. 10 bouteilles dans leur chaussette prête à parler et à faire parler nous garantit le président du club.
La forme des bouteilles laisse toutefois peu de surprise, nous allons passer la soirée au sud de la Loire et même autour de la Garonne. Ce n’est pas pour me déplaire car je bois très rarement des Bordeaux mais cela reste paradoxalement toujours de très bons souvenirs. Bon, il faut bien avouer que j’en bois si rarement que je peux me payer le luxe de ne boire que belles choses.
J’évite donc soigneusement toutes les piquettes en me focalisant sur les grands vins qui ont fait depuis 1855 le bonheur d’un classement établit à l’époque sur le prix de vente, époque où il y avait certainement une logique à payer certain vin très cher. Pas de spéculation chinoise en ces temps.
La série a été préparée par un vigneron membre du club. Nous ne connaissons pas l’origine de ces bouteilles mais la plupart portent le cachet des Etablissements Nicolas. Les étiquettes sont toutes dans un très bel état et les bouchons en miette. Une cave peut être un peu trop sèche.
Je me suis amusé a chercher les notes disponibles sur la toile pour les comparer avec les miennes et voir ce qu’elles peuvent représenter par rapport à mes gouts, à mon palais et à mon expérience.
Verres Spiegelau Expert et je suis de service.
1-Saint-Emilion 1er grand cru classé B Château Angelus 1988 (91/100 RP, 94/100 WS, 16,5/20 J.Robinson) La robe est noire avec de forts reflets acajous. Nez sur des senteurs de bois nobles, de fruits noirs, de suie, de lard, de fumé avec de la cerise noire, de la vanille et du tabac. La bouche est souple, d’ampleur moyenne avec de beaux tannins précis et mûrs. Profondeur moyenne pour ce vin en demi corps présentant une petite pointe de chaleur. L’élevage est net et propre. Longueur moyenne. Beau vin mais à boire car la robe n’est pas très engageante. 16/20
A ce moment là, notre hôte nous annonce que la série est organisée du vin le plus jeune au plus vieux !! Nous commençons donc cette soirée avec un breuvage de 23 ans. Une soirée qui s’annonce vraiment mémorable car le premier ange vient de passer. Ma note est dans l’esprit des critiques.
2- Saint-Emilion 1er grand cru classé B Château Angelus 1982 (77/100 RP, 87/100 WS, 17/20 J.Robinson, 81/100 IWC) La robe est tendre avec des franges orangées. Le nez est marqué par la fraise, la groseille, le sang dans un ensemble discret avec de petites touches boisées. La bouche est droite avec des tannins très fondus dans un esprit soyeux mais aussi décharné et maigrelet. Clairement sur la pente descendante si on admet qu’il pouvait un jour être au top. 13/20
L’Ange vient de prendre du plomb dans les ailes. Autant le 88 peut faire bonne figure dans une cave même élitiste, autant ce 82 est très moyen. On ne peut pas être bon chaque année mais 82 est le grand millésime parkérien. On attend toujours beaucoup de ce millésime et le voir inscrit sur l’étiquette est une grande déception. Parker lui avait donné un beau 77/100 ! Ma note reflète celle de Bob, un peu moins celle de WS.
3-Haut-Médoc 3ième grand cru classé Château La Lagune 1982 (90/100 RP, 90/100 WS) La robe est belle, vivante encore jeune. Le nez est discret sur le tabac blond les fruits rouges avec de petites notes lactées puis de bois précieux, de fleurs sèches, de rose et de pivoine. La bouche est ample avec des tannins fermes mais la matière est là, bien mûre, généreuse et flatteuse. Un vin qui pourra encore tenir 20 ans dans ce contexte, les tannins n’en seront que plus souples. 15/20
Encore un 82, sur un simple « Haut-Médoc » classé que 3ième cru (le plus petit niveau de la soirée !!) mais il fait bien meilleur impression que l’Angelus 82, sans être exceptionnel. Toujours une note cohérente avec les critiques.
4-Margaux 1er grand cru classé Château Margaux 1976 (70/100 RP, 81/100 WS) Robe tendre presque vide. Le nez est poussiéreux et manquant de netteté. La bouche est maigre, sans charme, acidulé et brutale. Pas bon du tout mais Bob l’avait déjà dit avant moi et ce n’est pas un problème de bouteille car je savais même pas qu’un vin pouvait atteindre péniblement 70/100. Il fallait le boire sur le fruit dans les années 80. 10/20
Là on touche presque le fond de la soirée et certainement du vin de Bordeaux. Après un souvenir dramatique d’un Pommard du Château voilà peut être l’autre perle du millésime, Margaux, qui n’a rien à offrir dans son corsage. Je ne mets jamais de note sous les 10 et je suis en phase avec les critiques.
5- Haut-Médoc 3ième grand cru classé Château La Lagune 1970 (87/100 RP, 87/100 WS) Robe tendre aux reflets orangés. Nez sur le cacao amer, les fleurs le tout dans la délicatesse avec une pointe de volatile. La bouche est pleine, généreuse avec des tannins ciselés d’une très grande précision donnant beaucoup d’homogénéité à l’ensemble. Pas le plus concentré des vins mais tout est en place avec juste la profondeur qu’il faut. Rien ne vient heurter l’esprit du dégustateur. Une bien belle bouteille qui a bien passée les 40 ans dernières années. 18/20
Premier très grand vin de la soirée. Et le second La Lagune qui tient la route et celui-ci a 41 ans. Premier écart avec l’appréciation de Bob et WS. Je note bien trop ce breuvage mais je le vois au-dessus de l’Angelus 88 donc….
6-Margaux 2ième grand cru classé Château Rauzan-Ségla 1970 (82/100 RP) Robe déchargée, ne reste plus grand chose dans le verre. Le nez est vieux sur la barrique humide, l’encaustique, le sous-bois avec un fond de champignon à l’aération. La bouche est fluide, petite, manquant cruellement d’ampleur et de grandeur. Les tannins sont fermes. Plus rien sous le pied et pas plus dans le verre. 13/20
La seule particularité de ce vin est une bouteille carrée. Un essai d’optimisation de stockage en caisse bois sans taquets. Cette énergie passée en cave aurait peut être sauvé les meubles. Note homogène avec Bob.
7-Saint-Estèphe 2ième grand cru classé Château Cos-D’Estournel 1970 (86/100 RP, 85/100 WS) Robe dans son jus. Nez subtil, végétal avec des touches de tabac. La bouche est droite, fraiche avec des tannins un peu marqués, manquant de charmes et de finesses. L’ensemble est raide, âpre et surtout très court. 10/20
Je l’avais oublié celui la. Pas brillant non plus. Disons plutôt que de la brillance mais point de fond. Ma note est beaucoup plus basse que celle des critiques mais elle n’a pas été donnée la même année, ou alors notre bouteille avait un problème.
8-Pauillac 2ième grand cru classé Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1970 (86/100 RP, 94/100 WS) La robe est noire comme de l’encre avec de tout petits reflets d’évolution. Nez encore jeune sur le cassis et autres fruits noirs avec des touches de sang, de cuir, de tabac et de café. La bouche est charnue, généreuse, riche avec beaucoup de mâche et de longueur. Ce Pauillac a gardé une grande fraicheur et beaucoup d’éclat. La grande classe pour ce vin encore vivant et bien en place. Merci Mme la Comtesse. 17/20
Retour dans le monde du grand vin avec un Pauillac admirable d’une insolente jeunesse digne de son rang de second. Je note mieux ce vin que Bob, plutôt dans l’esprit de WS.
9-Pauillac 1er grand cru classé Château Latour 1970 (89/100 RP, 91/100 WS, 18,5/20 J.Robinson, 95/100 Quarin, 90/100 IWC) Robe très sombre. Nez fumé avec des touches de cacao, de fruits noirs compotés très mûrs. L’élevage est magnifique. Harmonie ! Voici le premier mot qui me vient à l’esprit. Les tannins sont d’une extrême précision. Un vin d’une maturité et d’une extraction qui semble idéal donnant un vin plein et concentré sans excès et d’une grande justesse. Puissance et délicatesse. Une main de fer dans un gant de velours. Un Latour, grand parmi les grands qui semble aujourd’hui indestructible. Il tiendra encore 20 ans à ce rythme. 19/20
Le bouquin de Phillipe Faure-Brac classe ce Latour 1970, parmi les plus grands vins du monde. Je ne peux que confirmer cela. Une pure merveille que l’on trouve au quart du prix d’un 2009 qui n’arrivera certainement jamais à cette classe à l’ancienne. Bob et WS ont visiblement sous noté ce Pauillac. Je suis proche de la note de Robinson ou de Quarin.
10-Graves Château La Mission Haut-Brion 1962 (84/100 RP, 90/100 WS) Le nez est malheureusement entaché d’un bouchon farceur donnant des notes végétales. La bouche est une merveille de dentelle, d’élégance et de soyeux. Le bouchon ne semble pas la pénaliser ce qui me fait penser par moment que nous n’avons pas affaire à un classique gout de bouchon mais à un manque de netteté suite à un problème de stockage. Tout n’est que délicatesse et finesse. Un grand vin, féminin. 18/20 sans tenir compte de l’aspect bouchonné du nez.
Presque 50 ans pour ce Graves, aujourd’hui sous l’AOC Pessac-Léognan. Un vin plein de charme, comme une caresse. Je note aussi ce vin au-dessus de tous les autres mais quelle émotion que cette Mission Haut-Brion.
11-Barsac 1er grand cru classé Château Climens 1986 (96/100 RP, 94/100 WS) Robe brillante jaune paille. Le nez est précis et très aromatique sur le coing, le safran, la fleur d’oranger, la mangue et le biscuit. La bouche est onctueuse avec une liqueur fine et grasse dans un confit sans excès. Une bonne dose de finesse pour ce Barsac qui va me réconcilier avec ce style de vin. Grande pureté et grande précision. 18/20
Mon dernier Sauternes était un Raymond Lafon 99. J’étais resté sur ma faim et cela sentait la fin des sauternes pour moi. Ce Climens va me faire réfléchir et je vais à nouveau regarder les quelques quilles dorées que j’ai en cave. Note homogène avec les critiques.
Conclusion de la soirée
Voilà une énorme soirée autour des bordeaux avec une forte proportion de vin issus du millésime 70, le plus grand de cette décennie. Comme je le disais plus haut, je bois rarement des bordeaux mais dès que l’occasion se présente je me tourne vers ces grandes étiquettes dont les millésimes récents sont inaccessibles. Quelle émotion de trouver un vin grand, de lui donner un 19/20 et de découvrir qu’il s’agit d’un Latour. Sans le rendre meilleurs cela confirme son rang et me conforte aussi dans ma capacité de discernement. Je sais trouver un grand vin lorsque j’en croise un.
Toutes les notes ont été données sans connaître le nom du vin et le millésime. Je remarque que je ne suis jamais très loin des notes des critiques. Encore que les notes de datent un peu, on ne devrait pas les comparer avec celle de ce jour surtout que passés 20 ans il n’y a plus de grand vin mais uniquement des grandes bouteilles.
Bon signe, mauvais signe ! Pas la moindre idée. Une chose est certaine, un vin qui voit le jour grand, trépasse grand et quand ça part mal ça finit rarement mieux.
Merci au club AOC pour cette soirée.
Stéphane