L’Alsace compte quelques passionnés de vins (d’Alsace) qui ont échangé pendant des années leurs découvertes sur des forums comme dégustateurs.com ou LPV. Au milieu de ces fervents défenseurs de la viticulture alsacienne, un homme, Thierry Meyer a fait et fait encore bouger le vignoble depuis 2001 en organisant des repas dégustations essentiellement à la Taverne Alsacienne de Jean-Philippe Guggenbuhl à Ingersheim, des dégustations à la Confrérie Saint Etienne puis des dégustations commentées en mettant en avant des terroirs, des millésimes ou simplement pour nous faire connaître ses coups de cœur. La volonté étant toujours de démontrer que le vin d’Alsace a sa place parmi les grands vins de France et du monde.
Assez rapidement ces dégustations et repas sont devenus des lieux de rendez-vous de ces amateurs de vins d’Alsace. J’y ai fait beaucoup de rencontres et liés beaucoup d’amitiés et je ne parle même pas du garnissage de ma cave de belles références.
Thierry Meyer a organisé pour les 10 ans de sa société (L’Oenothèque Alsace) une dégustation de prestige pour 18 chanceux. Encore que la chance n’a rien à voir là-dedans, la dégustation étant annoncée publiquement, il fallait juste cliquer sur un lien….
Cette dégustation va se dérouler en 6 thématiques de 3 vins qui sont servis à l’aveugle dans la toujours belle salle du magasin Wolfberger à Colmar.
Alsace Sylvaner Brandstatt 2007 Domaine Otter
Nez sur les agrumes, pas forcément très net avec des touches de poussières et de cuir neuf le tout donnant un caractère évolué au vin. L’attaque est plus jeune, tendue, avec du gras sur une acidité mûre dans un ensemble sec. Petite note lactée en finale mais la minéralité est là sur une certaine amertume. Je n’ai jamais accroché avec les vins de ce domaine, leur trouvant souvent un coté austère. Bien-(12/20)
Alsace Sylvaner Racine de Sylvaner « Le Préféré de Mathilde » 2007 Domaine Etienne Loew
Robe dorée soutenue. Le nez est marqué par la pâte de coing, le botrytis dans un style pur et délicat. La bouche est moelleuse, profonde avec une certaine plénitude mais manquant pour moi de tenue, d’une trame guidant le vin. Un vin extrême dans sa maturité mais sans le raffinement des grandes cuvées en surmaturation. Bien (13,5/20)
Alsace Sylvaner Collection 2007 Domaine Kuentz-Bas
Robe pale, or gris. Nez fumé, grillé, tourbé un peu austère mais j’aime ça. Petite pointe végétale. La bouche est aérienne, ciselée, en dentelle avec une belle pureté cristalline, profil sec, précis qui claque et marque mon esprit. Très bien (16/20)
Premier thème avec « Il faut sauver le soldat sylvaner » au travers de 3 vins significativement différents tant dans les profils que dans les résultats, l’unique point commun étant une bonne garde. J’ai eu assez de mal à déterminer le cépage ce qui est bon signe normalement, le terroir devant prendre le dessus et gommer le côté variétal du vin.
Le Brandstatt de Otter manque de netteté, celui de Loew manque de personnalité. Reste celui de Kuentz—Bas, pur, athlétique d’une belle précision. Alors faut-il sauver le sylvaner ? Il est bon de remarquer que la plupart des grandes maisons d’Alsace ne proposent plus de sylvaner, privilégiant les autres cépages comme le pinot blanc.
Les grandes cuvées de sylvaner sont donc rares et encore plus rarement valorisés au bon niveau, le tarif élevé de certain sylvaner étant plus lié au niveau globalement élevé des tarifs pratiqués par le domaine en question. Quelques vignerons tentent de les vendre plus chers que le reste de leur gamme, un nombre important de millésimes sont alors souvent disponibles sur le tarif, signe d’une image qu’il faut encore rénover dans l’esprit des gens.
Alsace Riesling Clos Windsbuhl 2007 Domaine Zind-Humbrecht
Robe pale. Nez épicé, fumé, pierreux avec une petite touche de citron confit. La mise en bouche est franche, fine mais puissante dans un corps monobloc lui donnant un caractère strict et racé et parfaitement sec, presque trop en fait. La profondeur du breuvage aurait pu supporter une petite rondeur pour adoucir toute cette fougue. Reste là un grand vin de terroir calcaire qui va continuer à s’affiner doucement sur les 20-30 ans prochaines années. Excellent (18/20)
Alsace grand cru Schlossberg Riesling Cuvée Sainte Catherine 2007 Domaine Weinbach
Robe un peu plus soutenue. Nez toasté sur le pain frais, les fruits jaunes comme l’abricot, la nèfle et la truffe. La bouche est ample, très sapide dans une belle structure large assez différente de l’idée que l’on peut avoir d’un vin de granit plutôt vertical en général. Petite pointe de douceur mais l’équilibre est conservé. Très bien+ (17,5/20)
Alsace Riesling Schoelhammer 2007 Famille Hugel
Nez paraissant un peu évolué, ou entre deux phases sur les fleurs blanches. La bouche est franche avec une bonne mâche de la largeur tout en conservant un coté aérien et subtil pouvant laisser penser à un manque de structure. La fin de bouche est très large et sapide. Je suis un peu perplexe sur cette cuvée n’arrivant pas trop à lire le message mais le Schoenenbourg est un terroir très complexe et compliqué. Bien+ (15,5/20)
Le second thème « Le terroir plus qu’un discours » est sans doute le sacerdoce de l’Oenothèque Alsace. La mise en lumière des nuances de nos 51 terroirs classés grands crus aux natures géologiques si différentes ne peut passer que par la dégustation. Le but de cet exercice est donc de reconnaitre à l’aveugle des profils de terroirs Calcaire, Granitique et Marno-Calcaire.
Si la puissance et la droiture du premier vin (Clos Windsbuhl de ZH) m’oriente rapidement vers le terroir calcaire, j’ai situé le second (Schlossberg de Weinbach) sur des marne-calcaire et par déduction le dernier (Schoelhammer de Hugel) sur des granits. La richesse du Schlossberg de Weinbach ayant gommé le caractère vertical et fin du terroir. Le doute étant permis car le Schoelhammer du Hugel est délicat, subtil presque aérien.
Puligny Montrachet 1er cru Les Pucelles 2005 Domaine Leflaive.
Nez un peu évolué, racé sur la fleur d’orangé, les épices un boisé assez luxueux pour ne pas dire encore trop présent. La bouche est sèche, droite, elle claque dans le palais avec des touches de réglisse et une forte impression tactile. Le boisé est plus intégré en bouche. Un vin strict, presque austère mais dense avec une grande présence. Très Bien (16/20)
Alsace grand cru Pfingstberg riesling cuvée Paradis 2005 Domaine François Schmitt
Nez très mûr sur le caramel au beurre, les agrumes confits. La bouche est croquante, sapide avec une acidité diffuse et fondue. Petite rondeur avant une finale frétillante, souple et aérienne. Bien (15/20)
Alsace grand cru Rangen de Thann Riesling Clos Saint Urbain 2005 Domaine Zind-Humbrecht
La robe est dorée. Le nez présente une petite pointe lactée, pain grillé, sous-bois, truffe avec des relents fumés. La bouche est douce, délicate, subtil et suave avec une belle amertume une acidité douce avant une finale très tactile. Un Rangen un peu en dessous de mes attentes, autant le 2009 est superbe de vie, autant je trouve ce 2005 un peu éteins. Bien+ (16/20)
« L’Alsace n’a rien à envier aux grands bourgognes » Cette fois nous avons quitté le millésime 2007 pour nous tourner vers 2005, millésime qu’il faudra gouter dans les prochains mois, certains vins donnant de gros signes de faiblesse. Le but de cette série n’est pas seulement de trouver le vin de Bourgogne mais aussi de démontrer que les vins d’Alsace sont au niveau, du moins qualitativement. Des trois cuvées j’ai une préférence pour le Rangen de Thann malgré un manque de dynamisme sur cette bouteille. L’ensemble étant plus délicat et subtil que le Puligny jouant de ses épaules et de sa droiture pour passer. Pour finir et comme souvent et même à l’aveugle j’ai du mal avec les vins du Pfingstberg, ce qui n’enlève rien à sa qualité.
Alsace Riesling Clos Sainte Hune 2001 Domaine Trimbach
Robe légèrement dorée. Nez évolué, confit avec des touches de fleurs assez simple. L’attaque est large sur une acidité pointue qui pointe bien le vin. Le milieu de bouche est mordant, sec, sapide mais un peu trop brut pour moi. Bien- (14/20)
Alsace riesling Stein 2001 Domaine Emile Boeckel
Nez complexe et net sur les pierres chaudes, la pêche, les fruits blancs. La bouche est franche sur une acidité nette, cohérente dans un ensemble aromatique. Gros jus avant une finale en queue de pan, explosive et festive. Très bien (17/20)
Alsace Riesling Cuvée Frédéric-Emile 2001 Domaine Trimbach
Nez sur les épices, la truffe, le sous-bois noble, les fleurs. L’attaque est puissante, strict donnant au vin une structure ferme et précise. Un vin qui file tout droit avant une finale franche et nette. Un grand riesling de table. Très bien (17,5/20)
« Les vins cultes » Tout le monde est capable de citer un vin culte dans chacune des grandes régions viticoles de France. Romanée-Conti en Bourgogne, Petrus à Bordeaux, Krug en Champagne, Clos Rougeard en Loire….
Et en Alsace ? Comme pour la Savoie, le Jura et d’autres régions plus modestes en surfaces, ou majoritairement tournées vers les vins blancs, l’amateur lambda a beaucoup de mal pour citer LE vin culte. Tout au plus connaît-il le « Vin jaune » comme s’il n’y en avait qu’un ou le petit blanc avec la croix blanche sur la collerette que l’on boit avec la fondue savoyarde.
Mais d’ailleurs, pourquoi un vin est-il culte ? Car il suscite l’envie ?, Le rêve ? Car il est inaccessible, très cher…. mais est-il seulement meilleur ? J’ai eu la chance de gouter plusieurs cuvées de la DRC, et même à l’aveugle c’est grand. Idem pour Krug, certainement Petrus que je n’ai jamais bu.
Le but de cette série était de retrouver à l’aveugle la cuvée phare de l’Alsace, le mythe absolu, j’ai nommé « Clos Sainte Hune ». Et bien je me suis trompé sans pour autant passer à côté de la patte du domaine Trimbach. Ainsi c’est la précision et la puissance bien assise de la cuvée Frédéric-Emile 2001 que j’ai identifié comme pouvant être le Clos Sainte Hune. Le riesling Stein de Boeckel n’étant pas loin derrière avec un style plus fruité mais d’une grande cohérence. Le Clos Sainte-Hune étant en retrait, comme heurté. Un vin entre deux phases ou un bouchage non parfait. Pour l’avoir gouté par deux fois je penche plutôt pour un problème de bouchon.
Qui de mieux pour suivre un thème « vin culte » que d’ouvrir un grand vin, juste pour lui. Cette bouteille a été préparée et ouverte par Antoine Woerlé, professeur en sommellerie et art de la table à la pomme-frite schöl (lycée hôtelier).
Alsace Riesling Clos Sainte Hune Vendange Tardive hors choix 1989 Domaine Trimbach
Nez discret mais patiné et fin sur l’amande, une pointe de volatile. La bouche est fine, élégante, souple avec un moelleux parfaitement calibré et des notes de raisins frais. Un vin d’une grande jeunesse, élancé, d’une longueur infinie en pleine forme sans la moindre trace d’évolution. Cuvée produite à 980 bouteilles et c’est la seconde fois que je le goute. Je suis vraiment chanceux. Excellent (19,5/20)
Second interlude avec une bouteille apportée par un participant, pour fêter les 30 ans du millésime.
Alsace gewurztraminer Les Archenets 1986 Domaine Josmeyer
Nez classique des vieux gewurztraminers sur la menthe séchée, la réglisse, la rose, la mélisse. La bouche est épicée, assez tendue sur de grands amers avec malheureusement des notes d’alcool un peu trop dominantes. Un gewurztraminer old school dans le profil mais qui a merveilleusement passé les années. Bien (15/20)
Alsace Pinot blanc 1961 Cave de Beblenheim
Cuvée probablement issue du grand cru Sonnenglantz. Nez sur la truffe, le foin, le pain frais. La bouche est charnue, pleine sur une acidité fondue. Un vin tactile, mordant et glissant qui sans être un monstre de concentration fait plus que le boulot. Bien+ (16/20)
Alsace Schlossberg riesling 1967 Pierre Sparr
Nez sur le cuir neuf et luxueux type Prada, d’une élégance folle. L’acidité est souple et l’ensemble est bien dans le terroir, aérien, en dentelle avec une structure bien dessinée. Très bien (17/20)
Alsace gewurztraminer Réserve 1966 Domaine Paul Ginglinger
Un nez un peu vieux sur le menthol malheureusement entaché par un petit liège, chose dramatique lorsque l’on sait que cette bouteille a été rebouchée à la Confrérie, donc qu’elle n’était pas défectueuse avant cette opération. La bouche est très élégante, suave, souple avec l’ampleur d’un grand cru aidé par une acidité puissante. Grands amers en finale. Excellent (18/20)
Pas la peine d’expliquer le thème cette fois ! Le vin d’Alsace face aux années qui passent avec trois vins admirables, sans rides malgré une moyenne d’âge qui ferait pâlir beau nombre de bourgognes ou bordeaux blancs.
Que dire de ce Pinot Blanc 1961 de la cave de Beblenheim si ce n’est que nos anciens avaient certainement raisons et qu’ils semblaient détenir un savoir que nous avons du mal à retrouver de nos jours. Un vin ne fait certes pas la réputation d’un cépage ou d’un millésime mais rare sont aujourd’hui les pinots blancs pouvant prétendre à vieillir 55 ans !! Et d’une cave coopérative messieurs et messieurs !! A bon entendeur.
Le 1967 de Sparr est plus subtil et délicat mais tellement Schlossberg. Le 1966 de Paul Ginglinger est la démonstration, une de plus, que l’autre grand cépage de la région Alsace est le gewurztraminer et non pas le pinot gris ou sylvaner même si je garde le souvenir d’un énorme 1951 d’Alsace Willm.
Alsace grand cru Altenberg de Bergheim 2005 Domaine Marcel Deiss
Nez sur la pomme cuite, la mirabelle aromatiquement un peu pesant. La bouche est large, sapide, complète avec du moelleux, une acidité centrée dans un ensemble généreux et onctueux. Très bien (17/20)
Alsace gewurztraminer Clos Windsbuhl vendange tardive 2005 Domaine Zind-Humbrecht
Nez pur, confit sur les agrumes. Bouche puissante, structurée sur un gros jus de pierre bien calcaire adouci par la richesse de la vendange (20° potentiel, 74 g/L de SR) sans faire disparaître la trame minérale, elle en est même exacerbée. Excellent (18/20)
Alsace gewurztraminer Altenbourg sélection de grains nobles 2010 Domaine Weinbach
Nez fin, épuré et élégant sur les fruits exotiques, une touche de volatile. La bouche est sphérique, délicate, en dentelle avec une grosse richesse mais le vin conserve une homogénéité incroyable sans lourdeur, sans tomber dans la caricature. Excellent (19,5/20)
Pour finir, un tour avec le botrytis comme révélateur de certains grands terroirs. Un Altenberg 2005 tellement atypique, un gewurztraminer clos Windsbuhl 2005 en puissance un Altenbourg 2010 touchant la perfection du bout du doigt, d’une extrême grande précision. Trois exemples qui confirment que l’Alsace peut produire de grandes bouteilles de surmaturités sans dénaturer les trames des terroirs. Aucune région française ne peut prétendre en faire autant sur ce type de vin.
Difficile de résumer une telle série de vin. Historique avec les plus grands noms de la région, des vins anciens et mythiques. Des locomotives qui tirent un long et tortueux train alsacien vers les sommets œnologiques.
Thierry dit souvent que je suis le membre N°1 de l’Oenothèque Alsace et je ne cache pas mon bonheur d’avoir pu participer à cette dégustation.
Il a profité de cette dégustation pour retracer ces grandes séries de vins d’Alsace depuis 2001, et bien je pourrais dire dans 10 ans que j’étais à celle du 10 septembre 2016.
Stéphane